Les classes sociales dans le capitalisme
Autonomes
Les dénommés « travailleurs autonomes » méritent une considération à part vu qu’ils constituent une étiquette juridique qui est une véritable boîte à tiroir de conditions et de relations sociales [9]. Il est évident que parler de « travailleurs » autonomes comme une réalité supposément homogène, c’est se laisser duper par des catégories légales qui dissimulent ce qui se produit en réalité. Nous n’entrerons pas dans les cas que nous avons déjà traités : petits entrepreneurs ou propriétaires de petits commerces (boutiques, ateliers, salons de coiffure, etc.). Notre intérêt se fixe sur les formes de travail salarié qui se cachent sous le nom de « travail autonome » et les différentes confusions qu’elles peuvent causer.
Le cas le plus évident sont les dénommés « faux autonomes », salariés que leurs chefs enregistrent comme autonomes pour convertir une relation de travail entrepreneur-salarié en une relation marchande entre entreprises, avec les avantages économiques que cela rapporte. Il n’y a pas grand chose à dire sur ce cas étant donné qu’il est considéré illégal, cependant il existe d’autres formes de « travail autonome » légales qui sont dans leur essence des formes de travail salarié et, par conséquent, des formes dissimulées de relations de classe.
La première et la plus évidente, c’est celle qui a récemment été régulée sous la dénomination de « travail autonome dépendant ». Ses caractéristiques principales sont que 75% des revenus doivent provenir d’un unique client, qu’il ne doit pas y avoir de salariés à charge et qu’il faut posséder une « infrastructure productive et matérielle propre » qui soit « économiquement importante », c’est à dire qu’il faut apporter une partie des moyens de production. En échange, on leur reconnaît partiellement certains « droits » réservés aux salariés comme des vacances, l’indemnisation en cas de rupture injustifiée du contrat, être sous la juridiction sociale et non la juridiction marchande, etc. C’est-à-dire que d’une certaine manière les propres lois reconnaissent qu’on se trouve dans une situation « intermédiaire » entre le travail salarié et le contrat entre entreprises ? Cependant, la réalité passe par dessus les lois étant donné que le travailleur autonome qui est dans une situation de « dépendance » n’a pas la capacité d’obtenir qu’on le reconnaisse comme tel, et l’entrepreneur duquel il dépend n’a aucun intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Cette relation de classe dissimulée se manifeste dans le fait qu’entre l’apparition de cette figure juridique en juillet 2007 et juin 2008, seuls 1 069 travailleurs s’étaient inscrits à ce régime, tandis qu’une étude de l’Association des Travailleurs Autonomes de 2005 chiffrait à 400 000 le nombre de travailleurs autonomes dépendants en Espagne [10].
Finalement, nous nous retrouvons face à ce que, pour la majorité, nous avons en tête quand nous parlons de travailleurs autonomes. Quelqu’un, propriétaire de quelques moyens de production, qui « prête service » à une entreprise plus grande ou à un client particulier, raison pour laquelle on pourrait apparemment considérer cela comme une « entreprise individuelle ».
Comme nous l’avons répété au long de cet article, pour parler de classes, nous devons nous centrer sur les relations qu’établissent les personnes. Bien que ce soit le même travailleur, les relations de classe qu’il établit sont distinctes, dépendantes du fait qu’il vende directement son travail sur le marché ou s’il est en sous-traitance pour une autre entreprise, ce qui est la signification réelle de « prêter service ». Dans le premier cas c’est la même relation dont nous parlions dans la partie sur la petite bourgeoisie, une relation purement mercantile d’achat-vente, peu importe qu’on vende un produit ou un service. Dans le second, bien que puisse s’établir également la même relation, les cas les plus intéressants sont ceux dans lesquels sous un supposé contrat entre entreprises se mêle une relation salariée dissimulée dans laquelle le travailleur est le propriétaire, réel ou formel [11], d’une partie des moyens de production. C’est-à-dire que c’est comme si le contracteur louait, d’un côté, une partie des moyens de production et, d’un autre côté, qu’il achetait de la force de travail, en échange d’un salaire au forfait, sous la forme d’une prestation de service. De cette façon sont économisés les coûts d’entretien d’une partie des moyens de production, qui sont à la charge de l’autonome et, de plus, cela fait qu’une partie de la supervision du travail est réalisée par cet autonome. Ce type de relation est très utile pour des travaux qui se réalisent de manière dispersée, où une partie des moyens de production n’est pas excessivement coûteuse et, par conséquent, est assumable par le travailleur sous forme de leasing, de prêt, etc. et où la productivité du travail dépend plus de la main d’oeuvre que de la machinerie. Le secteur du transport, celui de la construction et des nouveaux secteurs comme les designers, les traducteurs éditeurs, les programmateurs, les opérateurs de caméra freelance, etc., sont quelques uns de celles et ceux qui s’adaptent le mieux à ces « nouvelles » formes de travail salarié [12].
La question fondamentale est que, en étant possesseur de ses propres moyens de production, « l’autonome » se voit immergé dans les deux types de relations. D’un côté, il peut agir comme producteur indépendant, par exemple si un opérateur caméra décide d’enregistrer un documentaire marginal qu’il essaie ensuite de vendre à Callejeros, ou si un historien décide de préparer une encyclopédie sur l’art austro-hongrois qu’il essaie ensuite de placer dans une maison d’édition. Mais tant l’un que l’autre peuvent être embauchés par l’agence de production du programme ou une maison d’éditions universitaire pour roder le programme ou préparer la collection. Bien que le travail soit le même, et qu’ils le fassent avec leurs propres moyens (caméras, micros, ordinateurs), le contrôle sur le processus de production et la propriété du produit final sont totalement distincts ? Ceci n’est pas limité à des travaux « créatifs » ou « immatériels », vu que la même chose peut être dite à propos d’électriciens embauchés pour faire des bricoles dans les maisons de quelques particuliers ou en sous-traitance par une entreprise de construction pour réaliser l’installation du chantier.
Le mal dénommé « travail autonome postfordiste », appellation confuse sous laquelle se sont regroupées généralement des activités pompeusement dénommées « cognitives » qui ont coutume d’inclure des tâches de « design », de traduction, d’informatique (programmation, maquettage…), d’enquête, etc., ou « affectives », soins aux personnes âgées, aux enfants, aux handicapés, etc., peut présenter les mêmes relations de classe que des maçons, des plombiers ou des transporteurs. Les premiers peuvent avoir une série de problématiques concrètes relativement novatrices comme la « domination des savoirs », la « mercantilisation des capacités affectives », l’aliénation des capacités communicatives, la consommation excessive de cocaïne ou l’arrivisme fêtard, mais cela n’implique rien vu que le maçon, l’électricien ont également les leurs propres qui, si elles sont anciennes n’en sont pas moins importantes, comme travailler sous la pluie, à moins 10 degrés en hiver, mourir électrocuté, écrasé ou alcoolisé.
Quelques bases matérielles de la domination capitaliste
Dans cette partie nous n’allons pas traiter des mécanismes répressifs et de contrôle dont il nous plaît tant de parler en tant qu’anticapitalistes. Bien qu’il soit évident que le capitalisme ne pourrait survivre sans eux, il est également évident qu’il ne survit pas seulement grâce à eux. Ce que nous allons traiter ici, ce sont quelques bases matérielles de la dénommée « servitude volontaire », réellement indispensables pour le maintien de l’ordre et de la paix capitaliste.
Souvent on considère que cette servitude est la conséquence de l’idéologie dominante qu’ils nous injectent à travers la télé, les médias, l’école, etc. Basiquement, « les gens ne se rebellent pas parce qu’ils sont trompés, abêtis, etc. ». Bien que cela soit en partie certain, toute idéologie est une représentation partielle, superficielle de la réalité, par conséquent comprendre la base réelle sur laquelle s’assoit l’idéologie est crucial pour la combattre.
Le capitalisme n’est pas seulement le centre de travail, c’est aussi le centre commercial. Ces deux sphères, production et circulation, façonne le tout organique que constitue le capital. La relation de classe a ses bases dans la production et, de fait, c’est dans le travail qu’elle se manifeste le plus clairement mais, comme nous le verrons dans la prochaine partie, elle imprègne toutes les relations sociales. Toutefois, dans la sphère de la circulation, les choses sont différentes. Dans le marché il n’y a apparemment pas de classes sociales. Formellement, nous sommes tous et toutes des acheteurs et des vendeurs libres. Citoyens atomisés, juridiquement égaux, avec les mêmes droits. Bien que dans le capitalisme l’égalité formelle des citoyens indépendants cache l’inégalité matérielle des classes, la séparation et l’égalité juridique constituent les bases matérielles de deux des grands piliers idéologiques du capitalisme : l’individualisme et l’« arrivisme ».
Il n’est pas du tout certain que les gens « ne se rendent pas compte » ou « sont trompés »… Beaucoup savent qu’ils sont des mulets qui se tueront à travailler toute leur vie, et que leur chef vit bien mieux qu’eux. Conclusion : beaucoup souhaitent se convertir en chefs. Est ce que cela fait qu’ils sont moins prolétaires ? Non.
Celui ou celle qui veut monter sa propre entreprise ne le fait pas pour être moins aliéné ou moins exploité et cela ne fait pas non plus que le chef va moins te contrôler ou augmenter ton salaire. La question de classe reste là, ce qui change c’est la manière que l’on a de l’affronter. Les mêmes questions, des réponses distinctes.
Le capitalisme n’a pas éliminé ni le prolétariat, ni la contradiction entre capital et travail. Ce qu’il a fait ces dernières années, c’est changer radicalement la manière de les affronter. D’une part, faire que nous cherchions fondamentalement des solutions individuelles et non collectives et que nous cherchions à sauver notre cul au lieu de donner un coup de main aux autres ou que nous vivions avec l’espoir que quoi qu’il arrive (un licenciement, une expulsion, un plan de réforme intégral…), cela ne va pas nous toucher nous : d’une certaine manière, le capitalisme nous condamne à l’individualisme. D’autre part, il a réussi à faire croire que l’unique option concevable pour cesser d’être prolétaire est celle d’être capitaliste. Comment a-t-il réussi à ce que nous avalions cette illusion ? Et bien parce que ce n’est pas une illusion, pas totalement du moins. À la différence de l’esclavagisme ou du féodalisme, dans le capitalisme il est réellement possible de cesser d’être un travailleur pour devenir un entrepreneur et, a priori, c’est réellement à la portée de chacun d’entre nous, par conséquent le capitalisme nous condamne à l’« arrivisme ».
L’autre face de cette idéologie est que si quiconque peut cesser d’être prolétaire, nous ne pouvons pas cesser de l’être tous à la fois. Que si quiconque peut se convertir en entrepreneur, il faut également être disposé à exploiter et piétiner les autres. Ou que la majorité des « entrepreneurs » terminent, au bout d’un certain temps, prolétaires encore plus endettés qu’avant ou qu’ils aient endetté les membres de leur famille et leurs amis qui les garantissaient, renforçant par là la domination capitaliste.
Un autre pilier dont on parle beaucoup est le consumérisme.
Avec le développement du capitalisme, quelques secteurs du prolétariat des pays occidentaux (mais pas tous, pour ne pas parler des pays non occidentaux) ont pu accéder à toute une série de marchandises : iPods, télévisions, machines à laver, internet, voitures… qui si elles n’éliminent pas la misère vitale qu’on subit dans le capitalisme, au moins la rendent plus supportable. Personne ne théorise mieux cela que l’Internationale Situationniste. En réalité le cas du consumérisme est très semblable à ceux d’avant. On ne cesse pas d’être prolétaire parce qu’on a une télé, un walkman ou Youtube à la maison, mais c’est un facteur de plus qui influera sur notre manière de nous confronter au monde, et y compris aux contradictions de classe. Et cela peut influer des deux côtés : en amortissant le conflit de classe grâce à une vie plus confortable et plus de loisirs ou en mettant en lumière la misère et l’aliénation capitaliste qu’aucun type d’abondance marchande ne peut éliminer.
À notre avis la révolution n’essaie pas d’« illuminer » un prolétariat qui vit trompé. Il s’agit d’établir des liens de communication avec lesquels découvrir collectivement le revers de la médaille de toute idéologie capitaliste et, surtout, de mettre en pratique des alternatives collectives et solidaires d’affrontement au système qui soient assumables par quiconque.
Cela n’a pas beaucoup de sens que nous nous limitions à critiquer les syndicats et à dire aux gens qu’ils sont vendus et bureaucratiques (on n’apprend rien à la majorité d’entre eux) si nous ne sommes pas capables de construire des alternatives de lutte à travers lesquelles les gens peuvent solutionner leurs problèmes à la marge des syndicats et y compris contre eux. Cela n’a pas de sens que nous nous limitions à démontrer les supercheries de la gauche progressiste et des ONG si nous ne sommes pas capables d’appuyer ces alternatives de lutte avec une pratique réelle collective, aussi minoritaire qu’elle puisse être au début.
L’importance des classes sociales
Reprenant sur le sujet des classes, beaucoup se demanderont quelle est l’importance réelle des relations de classe dans la société actuelle et, par conséquent, dans le « mouvement » anticapitaliste. En laissant de côté, celles et ceux qui nient directement l’existence des classes sociales, beaucoup, tout en reconnaissant l’existence des relations de classe, affirment qu’actuellement elles n’ont pas d’importance dans les conflits sociaux, par conséquent notre intervention dans ceux-ci devrait se baser sur d’autres critères (que ce soit contre la « domination », contre le « développementisme » ou « la technologie », quasiment toujours ainsi en termes généraux). Du côté opposé sont celles et ceux qui considèrent que la lutte des classes est pratiquement tout ce qui a réellement de l’importance et que tout autre type de conflit est quasiment de l’« humanisme petit-bourgeois » ou bien celles et ceux qui croient que tout est directement lutte de classe et voient, par exemple, dans les interventions militaires « impérialistes » la nécessité d’écraser un prolétariat local mythifié.
Finalement, il est évident que la société capitaliste ne se divise pas exclusivement en classes : il existe des différences de genre, de race, d’orientation sexuelle, culturelles, d’âge, de couleur de peau, etc. Beaucoup de celles-ci donnent lieu à des relations spécifiques de domination, d’oppression ou de discrimination, et par conséquent à des luttes et des résistances : la lutte de genre, contre l’oppression raciale, les luttes LGBT, de libération nationale, etc. Beaucoup placent ces luttes, y compris celles de classe, les unes à côté des autres, et parfois y compris les unes au dessus des autres, donnant lieu aux dénommées « politiques de l’identité » ou aux « nouveaux mouvements sociaux ».
Pour éviter de tomber dans une de ces simplifications, il est nécessaire d’approfondir un peu plus l’essence des relations de classe. C’est seulement de cette manière que nous pourrons déterminer son importance réelle ainsi que sa relation avec le reste des luttes mentionnées.
Nous, les êtres humains, nous sommes des êtres sociaux, nous existons dans et à travers nos relations avec le reste des êtres humains et avec la nature. Ces relations sont le principal produit de notre activité théorico-pratique, de notre capacité à transformer et comprendre le monde qui nous entoure. Le principal produit de la praxis humaine, ce ne sont pas seulement ses résultats matériels (des choses) ou mentaux (des idées, des catégories, des concepts) mais les relations humaines et avec la nature qui façonnent notre existence. Cependant, ces relations n’existent de manière abstraite ou générique que dans notre esprit. Dans la réalité, elles se présentent toujours sous des formes historiques concrètes et transitoires qui dépendent des conditions matérielles de la praxis humaine [13].
Les relations de classe sont, de fait, les formes historiques qu’adoptent les relations humaines en fonction de la distribution réelle et formelle des moyens à travers lesquels nous, les êtres humains, nous reproduisons les conditions matérielles de la sociabilité. Concrètement, du fait de la distribution et du type de propriété des moyens de production et de subsistance dans la société capitaliste, les relations humaines se présentent sous la forme de relations sociales capitalistes, c’est-à-dire fétichistes (passant par la médiation de choses), impersonnelles, aliénées et, surtout, de classe.
Cette petite excursion « philosophique » était nécessaire pour montrer que les relations de classe ne sont pas des relations imposées de manière externe à la réalité sociale mais que la réalité se constitue, se reproduit à travers elles. Les voitures, les maisons, ce que nous mangeons, la ainsi dénommée « culture », les activités qualifiées de loisir se produisent dans leur immense majorité à travers des relations de classe capitaliste, c’est-à-dire à travers l’exploitation des uns pour le bénéfice d’autres sur la base de l’achat-vente de la marchandise force de travail.
Les conflits qui surgissent contre la « marchandisation » de la santé, de l’éducation, de la sexualité, etc. captent cela, mais seulement superficiellement. La marchandisation de l’existant n’est pas la cause mais la conséquence du fait d’essayer de le soumettre à la logique du capital, et celle-ci peut seulement être la logique de l’exploitation et de la lutte des classes.
À partir de cela, il est facile de comprendre comment la lutte des classes entre en relation avec le reste des luttes (de genre, contre la domination raciale, etc.). Les relations sexuelles, les relations entre individus génétiquement différents [14], entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux, entre cultures et langages distincts sont le contenu des relations humaines. Toutes ces différences sont des différences biologiques et ethnographiques naturelles dont nous faisons abstraction lorsque nous parlons de relations humaines. Quand les relations humaines se présentent sous la forme des relations de classe, forme et contenu se traversent : les relations de classe pervertissent, subsument et canalisent le contenu des relations humaines et celles-ci ont tendance à se confondre avec la forme historique qu’elles adoptent. Par exemple, le capitalisme n’a pas inventé la domination de la femme vu qu’il apparut au sein d’une société qui était déjà patriarcale. Toutefois l’apparition du capitalisme supposa une transformation brutale des formes sous lesquelles se présente la domination de la femme : la grande chasse aux sorcières, sa réduction exclusive au rôle de mère reproductrice de force de travail, la destruction physique et psychologique de sa sexualité ont été des phénomènes reliés à la dénommée « accumulation originelle » [15]. De même les relations « raciales » ont changé au long de l’histoire en fonction des intérêts et de la lutte des classes [16].
Ce qui est fondamental ici, c’est que le capitalisme n’est pas de manière inhérente blanc, hétérosexuel et masculin (ou raciste, homophobe et machiste) mais qu’il est ainsi parce qu’il a surgi dans une société qui l’était déjà. Les relations sociales capitalistes ont surgi sur ces préjugés mais elles les transforment durant leur développement : elles les changent et, parfois, en réponse à la lutte des dominés, elles essayent de les dépasser. On dit souvent que le capitalisme peut s’accommoder de ces revendications (égalité de genre, « raciale », entre différentes orientations sexuelles, etc.) en son sein, ce qui n’est qu’à moitié certain. D’un côté, le fait qu’il puisse le faire potentiellement ne signifie pas qu’il puisse le faire dans chaque situation concrète. Cependant, le plus important est que le capitalisme incorpore ces revendications à sa manière, à la manière capitaliste. La dénommée « égalité des sexes » a été obtenue dans de nombreux cas en permettant que la femme puisse assumer des comportements dégradants traditionnellement réservés aux hommes. L’égalité n’est pas, ne peut pas être, que désormais à la télé on voit des gars musclés en string aux côtés des traditionnelles nanas en bikini, ni qu’une femme puisse toucher le cul d’un homme dans une discothèque, ni que les femmes doivent travailler 8 heures en dehors de la maison et autant à l’intérieur. L’« assimilation » et la visibilisation de l’homosexualité s’est faite d’une manière totalement commerciale, basée sur la marchandisation et la vente de certains clichés et comportements stéréotypés, donnant lieu au dénommé « capitalisme rose », et ainsi successivement…
Il n’y a pas de véritable libération ni de véritable égalité à l’intérieur du capitalisme, la division de classe fait que l’unique chose à laquelle on puisse aspirer est l’« égalité » et la « liberté » capitaliste, qui dans le fond cache l’inégalité de classe et la soumission au travail salarié. De même qu’une véritable politique de classe peut seulement être féministe, un véritable féminisme ne peut être que « de classe ».
Pour terminer, nous soulèverons un dernier point. Face aux différences antérieures (génétiques, entre « races », genre, âges, préférences sexuelles, etc.) qui sont des différences biologiques données, les relations de classe sont un produit aliéné de notre activité sociale comme êtres humains sous des conditions matérielles déterminées. Cela implique que nous pouvons détruire les relations de classe, nous pouvons les abolir à travers la transformation de nos relations sociales et la destruction des conditions matérielles dont elles sont la cause et la conséquence. Nous les créons, nous les détruisons. Au contraire, nous ne pouvons pas (ni ne voulons) en finir avec les différences entre hommes et femmes, entre couleurs de peau ou groupes sanguins, entre homosexuels, bisexuels ou hétérosexuels, etc. Il ne s’agit pas non plus de nous égaliser abstraitement « en droit » ou ce genre de choses, il s’agit d’apprendre à vivre en acceptant la riche diversité biologique, ethnographique et culturelle comme une vertu et non comme un châtiment, vivre grâce à elle et non malgré elle. Et nous ne pouvons ni ne voulons attendre de détruire le capitalisme pour ce faire.
Conclusion
Dans cet article nous avons essayé de commencer à exposer la structure de classe du capitalisme. Nous avons traité les relations de classe en terme « objectifs », comme des formes aliénées qu’adoptent les relations humaines du fait d’une distribution, réelle et formelle, déterminée des moyens de production.
Notre principal objectif était de tenter de comprendre les bases matérielles des conflits au sein du capitalisme, la lutte des classes et comment ceux-ci entrent en relation avec le reste des luttes et oppressions qui cohabitent en son sein : de genre, raciales, etc.
Pour des raisons d’espace et de santé mentale, nous nous sommes limités à l’expérience individuelle des relations de classe, laissant pour plus tard leur expression collective et nous n’avons pas non plus traité les aspects « subjectifs » qui découlent de ces relations. Comment à partir de ces relations nécessairement antagonistes et contradictoires peuvent surgir des mouvements et des projets qui transcendent les limites du capitalisme… ou qui restent en lui, ainsi que des idéologies qui essayent de sublimer le conflit de classe et la séparation sur laquelle se base le capitalisme. Tout ceci et beaucoup plus lors d’un prochain article ennuyeux de Ruptura.
Grupo Ruptura
Notes
[9] Selon les chiffres du Ministère de Travail, en décembre 2008, sur les approximativement 2 150 000 autonomes « proprement dit », 80% n’ont pas de salariés. Les 20% restants en ont entre 1 et 5, dont la moitié n’a qu’un unique salarié. 800 000 autres sont des « membres associés de sociétés » qui sont associés à différents types de petites et moyennes entreprises. 200 000 de plus sont des « collaborateurs membres de la famille » des travailleurs autonomes. Pour finir, environ 150 000 sont conseillers et administrateurs d’entreprises avec au moins un tiers du capital social de l’entreprise. La majorité de ces cas a été traité d’une manière ou d’une autre.
[10] Sources : http://noticiasemprendedores.blogsp…, http://www.autonomos-ata.com/inform…
[11] Nous disons réel ou formel parce que beaucoup de supposés propriétaires des moyens de production ne le sont qu’en termes nominaux, étant donné qu’en réalité « leurs » moyens de production « appartiennent » à la banque qui leur a donné le prêt pour qu’ils les achètent et pour s’emparer d’une partie de leur travail à travers les intérêts.
[12] Nous mettons entre guillemets le mot « nouveau » parce que le système est, d’une manière suspecte, semblable à la dénommée industrie domestique, généralement textile, des débuts du capitalisme (15ème-16ème siècle), appelée également « putting out system » ou « verlagsystem », dans laquelle un commerçant donnait des matériaux à des artisans ou des paysans pour qu’ils les travaillent dans leur propre maison avant de les recueillir pour les vendre.
[13] Par « conditions matérielles de la pratique humaine », nous ne nous référons pas aux « conditions économiques » et encore moins aux « conditions technologiques », mais simplement aux moyens à travers lesquels nous transformons le monde et survivons en son sein.
[14] Dans le fond les dénommées « races » ne sont rien de plus qu’une des nombreuses manifestations de la diversité génétique humaine. Voir note 16.
[15] Caliban and the Witch : Women, The Body, and Primitive Accumulation (Caliban et la sorcière : Les femmes, le corps et l’accumulation primitive). Silvia Federici. Autonomedia.
[16] Nous mettons entre guillemets le mot « race » parce que nous considérons qu’en grande partie c’est une construction sociale basée sur le fait que notre perception de la réalité est fondamentalement visuelle. C’est-à-dire des différences biologiques dans la couleur de la peau ou dans les caractères morphologiques (lèvres, yeux, cheveux) qui sont des différences réelles produites par notre évolution, qui sont regroupées en catégories que nous appelons races, tandis que d’autres différences biologiques comme le groupe sanguin ou les différentes isoformes de l’enzyme Alcool déshydrogénase (par exemple), qui ne sont pas perceptibles à la première vue, ne donnent pas lieu à tant de controverses.
Il y a des exemples très intéressants de comment le capital interfère avec la catégorie « race ». Le génocide du Rwanda en 1994 fut dû à un affrontement entre l’« ethnie » hutu et tutsi, cependant ces « ethnies » partagent la même langue, religion et couleur de peau, se différenciant seulement dans leur stature moyenne et, de fait, eux/elles-mêmes se reconnaissent incapables de se différencier à première vue. Selon différents auteurs, bien qu’il soit possible qu’existent quelques différences, ce fut la colonisation belge et allemande qui alimenta et exacerba la séparation entre hutus et tutsis (pour certains ce fut même cette colonisation qui la créa) comme un moyen de contrôler la population autochtone, en donnant aux tutsis un rôle principal dans l’administration coloniale.
Le cas contraire est celui de l’immigration irlandaise aux États-Unis durant le 19ème siècle. En ces temps là, l’Irlande était une colonie britannique où les irlandais étaient aussi discriminés que les noirs aux États-Unis (avec la différence qu’ils et elles n’étaient pas esclaves). En arrivant aux États-Unis, ils/elles étaient traités de la pire manière, parfois même pire que les esclaves afro-américains (qui étaient plus chers), en arrivant à être considérées comme des « nègres blancs » ou les noirs comme des « irlandais fumés ». Face à quelques irlandais qui proclamaient l’union avec les esclaves noirs pour lutter pour l’abolitionnisme, la majorité des immigrants irlandais décidèrent de faire valoir leur « blancheur », laissant de côté leur catholicisme et leur ascendance irlandaise pour accéder aux privilèges raciaux des blancs, anglo-saxons et protestants. Ce processus supposa principalement d’affronter et d’assumer sa « supériorité » sur les « noirs » (esclaves ou libres), en se plaçant au côté des « blancs ». Un exemple de ce changement est que le Ku Klux Klan, le représentant du racisme antérieur à la Guerre Civile Américaine, haïssait initialement de manière égale les noirs et les catholiques. En plus d’être un bon exemple du caractère social des « races », c’est un cas évident de comment les exploités sont divisés, dans ce cas sur la base de préjugés raciaux. Plus d’info : « An interview with Noel Ignatiev – How the Irish Became White » (Un entretien avec Noel Ignatiev – Comment les irlandais devinrent blancs). (Note du CATS : ce texte est téléchargeable ici : http://racetraitor.org/zmagazineint….)
D’autres exemples historiques de comment les relations entre « races » ont été utilisées par le capital à son bénéfice peuvent être trouvés dans Une histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn.